INTRODUCTION
En tant qu’objet socioculturel, le concept de l’atome et son cortège cognitif occupe, dans la tradition éducationnelle de la Grèce et de la France, une place emblématique pour de diverses raisons, semblables et différentes. Partout dans le monde, les contenus d’enseignement relatifs à l’atome jouent un rôle d’arsenal conceptuel de base, chez l’élève, pour quasiment toute la matière en physique et en chimie, dans les curricula des sciences. Historiquement et culturellement parlant, la problématique de la continuité de la matière nait en Grèce Antique il y a presque vingt-cinq siècles, avec la doctrine philosophique de l’atomisme, élaborée par les penseurs Leucippe (Ve siècle av. J.-C.) et son disciple Démocrite (460 - 370 av. J.-C.). Faisant partie du patrimoine culturel grec, l’étymologie du mot « atome » - du latin atomus qui vient du grec atomos, « qu’on ne peut couper », insécable, indivisible - est connue chez les élèves leur permettant d’établir le lien entre signifié et signifiant. Toutefois, un allophone n’en a pas de rapports linguistiques. Par ailleurs, en contexte francophone, tout élève devrait avoir entendu parler des lauréats de prix Nobel français en sciences : Pierre et Marie Curie et Antoine-Henri Becquerel - à propos de la radioactivité de certains éléments chimiques -, Jean Perrin dont les travaux ont décisivement contribué à la preuve de l’existence des atomes et, encore, Luis de Broglie qui a découvert la nature ondulatoire du micromonde (complémentaire à sa nature corpusculaire).
L’importance de cette recherche découle des raisons didactiques, mais aussi épistémologiques. Les premières se réfèrent aux pôles aussi bien « enseignant » que « savoir » dans la relation didactique. Pour l’enseignant, la connaissance des systèmes de représentation formés par ses élèves à propos d’une notion scientifique, un effet, etc., constitue un outil pédagogique incontournable (Johsua & Dupin, 1993; Ravanis, 2005; Boilevin, 2013). Étant donné que ces derniers ne pénètrent pas en classe « la tête vide », connaître leurs conceptions ou idées préalables à l’apprentissage permet d’approfondir dans leur pensée laquelle n’est guère structurée d’un amas d’opinions, stéréotypes, etc. empilés les uns sur les autres. Au contraire, l’enseignant se trouve confronté à un ensemble cohérent d’idées clairement structuré (Dollo, 2002), que nous abordons par un système de représentations sociales (RS), en raison de l’origine et élaboration sociétales de ces structures cognitives. Par ailleurs, le sens que les élèves y attribuent relève d’un moyen d’accueil du savoir, pouvant faire obstacle ou, à l’inverse, servir d’appui à l’enseignement et/ou à l’apprentissage (Legardez, 2004; Ravanis, 2010). Au-delà, l’enseignant se facilite, en premier temps, de distinguer « les conceptions qui pourront se mouler dans ce cadre […] de celles qui, au contraire, feront obstacle ou encore qui seront neutres à cet égard » (Johsua & Dupin, 1993, p. 330) et, en second lieu, de construire une stratégie didactique en évitant des obstacles et en profitant d’appuis repérés dans les savoirs préalables des élèves. » (Legardez, 2004, p. 12). Et, lorsque l’enseignement tente d’enrichir la représentation initiale des élèves « en intégrant des éléments complexes, leurs interrelations mutuelles et les enjeux qui en découlent », se produit alors un nouveau système de représentations - connaissances (Barthes, Jeziorski & Legardez, 2014, p. 277).
Enfin, les raisons associées au pôle « savoir » et à l’épistémologie scolaire le soutenant renvoient à l’organisation curriculaire des contenus d’enseignement dans les deux systèmes éducatifs considérés. En effet, en contexte grec, le savoir autour de l’atome est à la fois dispensé par deux disciplines scolaires distinctes, la physique et la chimie. Plus exactement, la première étudie les effets physiques imputables à l’existence des atomes (par exemple, le changement des états de la matière, l’électricité, etc.), tandis que la seconde s’intéresse au comportement chimique des éléments lors de la formation des liaisons chimiques. En réalité, nous remarquons des effets de recouvrement entre ces disciplines, concernant, par exemple, la structure atomique. Tout au contraire, les programmes français suivent une approche unifiée des phénomènes de la matière inerte, sous le prisme d’une seule discipline, « physique - chimie ». Depuis la rentrée 2019 et l’application des nouveaux programmes (cf. Ministère de l’éducation nationale, B.O. de 2019), les manuels favorisent une progression spiralaire des connaissances suivant une organisation plutôt académique du savoir.
REVUE DE LITTÉRATURE
L’évolution des conceptions des collégiens en France, à propos du concept d’atome, a tiré l’intérêt de Charlet-Brehelin (1999). En premier lieu, il a été demandé à des élèves des classes de 4e, n’ayant jamais eu d’enseignement en physique - chimie au collège, d’associer au mot « atome » des mots qui leur viennent spontanément à l’esprit. Le corpus récolté peut se regrouper en cinq catégories, selon l’auteure : applications nucléaires, connaissances scientifiques, applications techniques, domaine biologique et qualités des atomes. Ensuite, les élèves ont tenté de définir l’atome comme suit : « c’est une bombe », « fait les bombes », « éclate », « est un composant chimique ou de matière », « électronique ou d’électricité ». Des réponses du genre « c’est une particule », « le plus petit grain de matière » et « microscopique » sont moyennement évoquées, comme, d’ailleurs, celles relevant du vivant : « c’est une cellule » ou « un microbe ». Enfin, les dessins d’atome produits par les enquêtés évoluent au fur et à mesure de l’enseignement. Ainsi, les typologies initiales - éléments géométriques, sphériques ou atomes daltoniens, structures biologiques - aboutissent à des modèles plus sophistiqués, figurant la structure d’atome interne aves les constituants subatomiques.
Çökelez (2005) a pu dévoiler des représentations d’atome et de molécule plus élaborées, à propos de l’enseignement de la structure de la matière et de ses transformations, au lycée français. La structure interne, le modèle planétaire d’atome et la symbolisation abstraite (formules de Lewis) attirent la préférence des élèves en première scientifique et en terminale S. D’après Dumon et Çökelez (2006), la confusion entre atome et molécule est observée non pas seulement chez des élèves (de niveau collège et lycée), mais également chez les futurs enseignants du primaire. Très souvent, aussi, les atomes semblent être dotés des caractéristiques macroscopiques de la substance qu’ils forment. Par exemple, un morceau d’or est doré parce que chacun des atomes d’or l’est également. D’après la bibliographie portant sur les obstacles épistémologiques, ces convictions relèvent de l’obstacle épistémologique, dit « réaliste » (Anderson, 1990; Garnett & Hackling, 1995).
Concernant l’aspect quantique de l’atome, Dangur, Avargil, Peskin et Dori (2014) ont montré que des étudiants en premier cycle éprouvent des difficultés dans la distinction entre l’orbite déterminée et le concept d’orbitale, de nature probabiliste. La rupture épistémologique sous-jacente a été étudiée par Singh et Marshman (2015) qui ont constaté que si le caractère probabiliste du modèle de mécanique quantique est associé, d’après les enquêtés (étudiants en mécanique quantique aux États-Unis), au principe d’incertitude de Heisenberg, ceci n’est guère considéré comme une propriété intrinsèque au micromonde, mais comme une conséquence de l’imperfection des instruments d’expérimentation actuels.
En contexte grec, Zarkadis, Papageorgiou et Stamovlasis (2017) ont mené une recherche auprès d’élèves du secondaire (grades de scolarité 10e et 11e) afin d’étudier les modèles mentaux sur la structure atomique et la cohérence à l’intérieur de chacun attribuée par les sujets. Le modèle planétaire ou modèle de Bohr semble prédominer chez les apprenants qui, cependant, n’hésitent pas de combiner des éléments issus de différents modèles, lorsqu’il leur est demandé d’expliquer des effets quotidiens en rapport à la structure microscopique de la matière, telle l’évaporation. Les chercheurs concluent un manque de connaissances solides à propos de la portée des modèles atomiques élaborés par la science (cf., également, Ravanis, 2010), ainsi qu’un niveau de cohésion interne très faible, s’agissant d’un même modèle.
Enfin, dans une récente recherche auprès d’élèves marocains de 15-16 ans (grade de scolarité 10) sur les relations atome - ion, entre autres résultats, a été constaté que le 60 % des élèves peut distinguer entre la formule ou le symbole chimique d’un ion et d’un atome et peut comprendre clairement le sens physique en termes de perte et de gain d’électrons. Par contre, le 40 % propose des explications alternatives comme, par exemple, l’absence de distinction et de différenciation entre les atomes et les ions (Ouasri & Ravanis, 2020).
CADRE THÉORIQUE
Il est articulé des notions qui relèvent de deux champs scientifiques : didactique des sciences physiques et chimiques et psychologie sociale. Le concept de transposition didactique (Chevallard, 1994) émane de la problématique de la provenance du savoir scolaire et des formes qu’il revêtit. Selon ces auteurs, les savoirs disciplinaires sont, en principe, produits en dehors de l’institution scolaire et subissent une série d’adaptations avant d’y pénétrer comme savoirs à enseigner, puis enseignés. De ce fait, la forme des objets scientifiques que produit la science n’est pas tout à fait la même avec elle des objets d’enseignement à l’école. Cette approche permet de distinguer entre les savoirs savants, les savoirs sociaux (Legardez, 2006), les savoirs à enseigner, les savoirs effectivement enseignés et, enfin, les savoirs appris par les élèves (Chevallard, 1994). Cependant, ces processus de transformation ne se réduisent, en aucun cas, à une simplification du savoir savant qui est issu de la sphère des chercheurs.
Notre objet de recherche a, également, trait à la psychologie sociale. L’épistémologie qui le sous-tend est le socio-cognitivisme, c’est-à-dire, une articulation entre le cognitif et le social (sociogenèse des contenus représentationnels et dynamique de construction en fonction des dynamiques sociales et de communication, en référence à Moscovici). D’après l’hypothèse phénoménologique interactionniste, la réalité est socialement construite, partagée et transformée dans les pratiques et les interactions quotidiennes, multiples et éphémères, à savoir modelée par un système représentationnel dynamique qui régit le fonctionnement de l’individu (subjectivité de la réalité), dans un contexte social, historique, culturel et physique donné. Le concept heuristique de représentation sociale désigne « une manière d’interpréter le monde et de penser notre réalité quotidienne », souligne Moscovici (1984, p. 360). Selon Jodelet (1989, p. 53), les RS constituent une « forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une vision de la réalité commune à un ensemble social. » En outre, Vergès (1995) insiste sur l’articulation « collectif - individuel » et remarque que les RS permettent « d’envisager dans le même mouvement, d’une part les déterminations collectives et, d’autre part, la liberté de choix et de création de l’acteur social. » (p. 28). Dans cette approche, nous adhérons à l’approche structurale des RS, développée par l’École Aixoise (Vergès, 1994,1995; Abric, 1994,2003; Flament, 1996), selon laquelle une RS s’organise en un double système sociocognitif, central et périphérique : le noyau central étant son élément fondamental qui lui assure sa signification, sa cohésion et sa stabilité ; le système périphérique constitue sa partie la plus accessible, la plus concrète et, à la fois, la plus mouvante dans son processus d’évolution.
CADRE MÉTHODOLOGIQUE
En raison de son approche comparatiste, la recherche est menée auprès de deux sous-groupes d’élèves, français et grecs, chez lesquels un double processus représentationnel - sociétal et, en même temps, éducationnel - par rapport à l’atome a été déjà déclenché. Les questions de recherche peuvent être formulées comme suit :
Quel est le contenu sémantique et l’architecture des RS de l’atome, que les deux sous-ensembles d’enquêtés établissent-ils ?
Quelles informations peut-on tirer de la comparaison entre les deux systèmes de représentation étudiés ?
Pour y répondre, nous avons élaboré un questionnaire-type des RS (cf. plus bas). Cet outil est composé de deux questions destinées à un ensemble de 616 élèves (autant de questionnaires exploitables) répartis entre la quatrième de collège et les classes de seconde et de terminale du lycée général. Plus précisément, cet échantillon englobe 303 français, fréquentant des établissements des Bouches du Rhône et 313 grecs, scolarisés dans la région d’Étolie et Acarnanie. À l’intérieur des deux sous-groupes, celui des français est composé de 102 élèves en classes de 4e de collège (8e grade de scolarité), 102 en seconde (10e grade) et 99 en terminale hors-série de baccalauréat S (12e grade). Parmi les élèves grecs, 104 sont scolarisés en 8e grade, autant en 10e et 105 en 12e (hors-série S). Les questions posées aux sujets sont les suivantes :
Question 11
(a) Peux-tu écrire de 3 à 5 mots ou courtes expressions qui te viennent spontanément à l’esprit quand tu penses à l’atome ?
(b) Peux-tu hiérarchiser ces mots du plus important, plus significatif par rapport à l’atome, en leur attribuant les chiffres 1, 2 et ainsi de suite ?
Question 2
À partir du tableau ci-dessous et d’après ton point de vue, peux-tu sélectionner :
(a) Cinq propositions qui caractérisent le mieux l’atome : …/ …/ …/ …/ …/
(b) Cinq propositions qui caractérisent le moins l’atome : …/ …/ …/ …/ …/
(Range-les de la plus importante à la moins importante).
1. l’atome, c’est la molécule
6. il n’est que dans les laboratoires de chimie
11. il est rond
2. l’atome contient de l’énergie
7. tous les atomes sont identiques, tous pareils
12. aussi petit que la cellule
3. l’atome est composé d’autres constituants
8. l’atome, c’est le composant de tout
13. bombe atomique
4. il est indivisible
9. il n’est que dans l’air
14. l’atome s’est créé sur Terre
5. l’espace entre les étoiles est plein d’atomes
10. l’atome est formé par des molécules
15. les atomes émettent de la lumière
Ensuite, nous nous attachons à circonscrire le traitement des réponses récoltées qui est effectué à l’aide des logiciels EXCEL 2010©, SPSS 16© et des programmes SIMI 2000© et EVOC 2005© qui sont plus spécifiques des RS.
1. La question 1 et, plus exactement, la sous-question A, appelée évocation hiérarchisée, vise à nous informer sur le contenu et la structure de la RS. Il s’agit d’une technique associative libre qui, dans un premier temps, consiste, à partir d’un mot inducteur de départ (atome, en l’occurrence), à demander au participant d’y associer des mots qui lui semblent les plus représentatifs et de les hiérarchiser d’après un critère d’importance. La conjonction de la fréquence de citation (indicateur collectif) et du rang moyen d’importance (indicateur plus individuel) pour chaque élément de ce corpus conduit à la structure suivante :
Dans cette configuration, la case 1 contient des éléments saillants et potentiellement centraux de la RS. Les cases 2 et 4 regroupent les éléments périphériques (plus importants / peu importants, respectivement). Quant au contenu de la case 3, de saillance à la fois majoritaire sur le rang2 et minoritaire sur la fréquence, peut témoigner de l’existence d’un sous-groupe porteur d’une représentation différente. Selon Vergès (1994), les cases 2 et 3 constituent la « zone potentiellement déséquilibrante, source de changement » (p. 238) dans la RS en ce sens où elles illustreraient une interaction entre le noyau et la périphérie proche. D’après Flament (1994), les éléments périphériques saillants (i.e. ceux de la case 2), plus fréquentés que ceux de la case 3, correspondent mieux à l’hypothèse de changement du noyau.
Suit l’étape de catégorisation (à partir de la sous-question B), selon laquelle le chercheur regroupe sémantiquement les induits autour de quelques notions prototypiques, sur des critères plutôt subjectifs intrinsèques à la problématique de recherche, à son rapport cognitif à l’objet, etc. L’entrecroisement des fréquences avec les rangs moyens calculés pour ces notions prototypiques fournit une nouvelle distribution (cf. graphe 1). Les résultats de cette méthode, dite analyse prototypique et catégorielle (Vergès, 1992), se produisent moyennant EVOC 2005©.
2. La question 2, ladite de caractérisation (Flament, 1996), permet d’estimer le degré de centralité d’un élément donné, parce qu’elle offre un indice de centralité pour un nombre d’items proposés en les distinguant aux centraux et aux périphériques dans l’architecture de la représentation. De plus, elle permet de minimiser les effets de contexte selon lesquels les élèves, en vue de la question d’évocation, cherchent plutôt à anticiper les « bonnes réponses pour le professeur », altérant (le cas échéant) la représentation véritable qu’ils se font de l’objet étudié. Les items élaborés et proposés aux participants peuvent représenter des aspects scientifique, technologique, éthique, sociale, économique de l’objet, et, en général, sont issus de l’étape de la pré-enquête, ainsi que d’un survol de la littérature spécialisée. Pour calculer leur score de représentativité et tracer les courbes de centralité (cf. graphes 4-9), nous leur attribuons les codes de 3 à 1, selon qu’ils sont classés par participant parmi les modalités suivantes : « plus caractéristique », « non choisi » et « moins caractéristique », alternativement. Le traitement d’ensemble s’effectue moyennant les logiciels SIMI 2000© et SPSS 16©. La distribution des résultats - à savoir, la fréquence de chacune de ces modalités - varie d’un item à l’autre et peut être caractérisée par la forme de la courbe. Plus spécifiquement et selon Vergès (2001) :
une courbe en « J » donne le profil des éléments centraux (cf. graphes 4,5) ;
une courbe en « cloche » correspond aux éléments périphériques éloignés ou sans rapport avec la RS (cf. graphes 8,9) ;
enfin, une courbe en « U » (cf. graphe 7) témoigne d’un élément contrasté et, subséquemment, d’une dichotomie de la population à l’égard de l’item examiné, donc, d’une dissonance sur son degré de centralité dans la RS.
À souligner au passage que la méthodologie mise en œuvre, inhérente à l’approche du noyau central, permet le repérage des éléments consensuels qui composent la représentation en question, mais ne se prononce cependant pas sur sa dynamique ni les processus de prise de position des individus. Cet aspect nécessite une autre analyse basée sur la technique des principes organisateurs. Par la suite, nous procédons à la présentation des résultats en même temps avec leur discussion.
RÉSULTATS ET DISCUSSION DES RÉSULTATS
Question de recherche A
Cette partie est articulée comme suit : pour chacun des deux sous-groupes d’enquêtés, en premier temps (sous-question A), nous fournissons le tableau des évocations produites par les élèves ; en second temps, le tableau de prototypicalité accompagné du graphe de distribution rang - fréquence et, enfin, le graphe comparatiste pour les deux échantillons.
(a) Sous-question de recherche A, sous-groupe grec. Les 313 élèves grecs ont au total associé au stimulus « atome » 296 mots différents en 1326 reprises, soit 4,24 induits par individu, en moyenne. Cette récolte d’induits étant assez abondante, nous avons déterminé - selon un choix méthodologique - le seuil de la fréquence à partir de dix (f = 10), afin d’éditer le tableau suivant :
La fusion de tous les items (au nombre de 296) autour d’un certain nombre de notions prototypiques conduit au tableau 3:
Le graphe suivant offre une illustration de ces données (Graphe 1) :
En fonction de leur déplacement, les notions prototypiques dans ce graphe se distinguent en quatre blocs qui correspondent aux quatre cases du tableau 1. Par conséquent, les termes, principalement « noyau » et secondairement « sciences », ont la plus forte probabilité de constituer le noyau central de la RS. Les deux autres à proximité, i.e. « molécule » et « vivant », se situent à la lisière de la zone centrale et, plus particulièrement, le « vivant », avec un rang plus faible, menace de pénétrer dans le noyau central, avec comme conséquence l’altération de la RS et sa transformation radicale. En plus, le terme « molécule » se trouve très fréquemment cité, ce qui peut signaler une confusion entre les concepts d’atome et de molécule chez les participants. Ensuite, les constituants de l’atome - proton, neutron et électron - avec les induits regroupés sous la notion prototypique « modélisation » (rassemblant, notamment, les divers modèles scientifiques d’atome historiquement apparus) occupent d’emblée la périphérie proche de la RS. Il est à noter que la « modélisation » s’avère être une catégorie éminemment évoquée par les grecs. Au contraire, l’aspect nucléaire de l’atome et l’idée de brique ultime de la matière ne paraissent pas si significatifs chez eux. Enfin, la place régressive de la catégorie « élément » nous permet de supposer que la distinction entre cette notion chimique et celle d’atome est plutôt établie.
(b) Sous-question de recherche A, sous-groupe français. Les 303 élèves ont fourni 300 mots en 1306 occurrences, c’est-à-dire 4,31 induits en moyenne, montant comparable à celui observé auprès des grecs. Le seuil de fréquence étant, également, défini à dix, le tableau des évocations produites par les élèves français prend la forme suivante (Tableau 4) :
À l’étape suivante, les 300 items produits sont catégorisés à partir d’un certain nombre de notions prototypiques. Ainsi, il ressort une nouvelle structure (Tableau 5). Cette répartition peut se transformer sous forme imagée (Graphe 2).
Les labels « molécule », « sciences » et « électron » sont considérés représenter le noyau central de la RS, puisque celui de « noyau (d’atome) », même très tôt placé dans la hiérarchie, n’obtient qu’une fréquence plutôt faible et constitue un élément dichotomique. Par contre, le « nucléaire » (thème toujours d’actualité dans le débat public en France) arrive en périphérie proche, tandis que les « proton » et « neutron » s’éloignent vers la périphérie lointaine de la RS.
Pour avoir un aspect comparatif entre les items homologues (Graphe 3), nous avons superposé les deux distributions (cf. Graphes 1 et2).
D’après la comparaison, nous observons que :
1. Les notions prototypiques « sciences » et « noyau », chez les grecs, ainsi que « sciences », « électron » et, le cas échéant, « molécule », chez les français, matérialisent la zone centrale des deux systèmes de représentation, respectivement ;
2. Les notions « molécule », notamment pour les français et « vivant » pour les grecs se situent à proximité de la zone du noyau (voire à l’intérieur) ;
3. Les constituants du noyau atomique (proton et neutron) occupent la périphérie proche, chez les deux sous-groupes, tandis que l’item « nucléaire » paraît significativement plus fort chez les français ;
4. Les décalages entre les positions des deux « modélisations » et des deux « éléments » demeurent les plus petits, pour les deux sous-groupes ;
5. Les notions prototypiques « base », « échelle », « matière », « ion », « charge » et « savants », toutes placées en périphérie prennent des valeurs plus ou moins similaires dans les deux cas.
Question de recherche B
Le tableau de représentativité en dessous, édité par le programme SIMI 2000, donne les scores des trois modalités par item :
Pour visualiser ces résultats, nous avons construit les courbes de centralité pour les deux sous-ensembles des participants (Graphes 4-9):
Nous remarquons que les deux sous-groupes manifestent un comportement comparable face au classement des items proposés. La signification de la représentation qu’ils se font de l’atome combine des éléments issus, aussi bien, d’un aspect corpusculaire de la matière et du modèle d’atome daltonien (qui est privé de structure interne). D’autres éléments saillants renvoient aux effets énergétiques de l’atome. Enfin, il est à noter que les items qui restent (cinq pour les GR et quatre pour les FR) forment des courbes qui peuvent être rapprochées de la figure « ɭ », à savoir, corrélée avec la courbe en J par symétrie orthogonale par rapport à la verticale. Ces items sont considérés n’ayant aucun rapport avec l’atome, selon les sujets interrogés.
Pour récapituler, l’architecture de la RS chez les deux sous-groupes est compatible au modèle du noyau central (cf. tableau 1). Effectivement, un espace significatif peut être distingué - englobant « noyau » et « sciences », pour tous et « molécule » pour les français -, lequel se trouve contourné d’un système périphérique. La périphérie proche est définie par des éléments de la modélisation d’atome, pour les deux sous-ensembles. Il est, également, remarquable que l’aspect énergétique de l’atome se place, de manière favorable par les français, dans la périphérie étroite de la RS. De cette image représentationnelle (produite spontanément), il ressort que « molécule » et « vivant » constituent des éléments cognitifs pouvant altérer le noyau central, donc la RS entière. Parmi les items proposés aux sujets, les quatre suivants, « énergie », « compose tout », « pas élémentaire » et « indivisible », arrivent aux premiers rangs pour tous et inversement pour les deux, « que dans l’air », « qu’en labo ». Enfin, les graphes de représentativité laissent identifier l’idée fausse des élèves que l’atome contient des molécules, une idée qui semble reculer au fur et à mesure des enseignements. Cet obstacle didactique reflète la difficulté des élèves de hiérarchiser, selon le critère de dimension, des objets inertes et organiques invisibles à l’œil nu. Tout au contraire, l’obstacle didactique lié à la confusion entre atome et molécule se manifeste persistant et récurrent dans les recherches. Son origine pourrait émaner - supposons-nous - de la représentation iconique utilisée par l’enseignant ou le manuel scolaire, à propos des gaz nobles dont l’entité élémentaire est la molécule monoatomique, caractérisée (d’après un langage pas rigoureux, imprécis) tantôt atome, tantôt molécule.
CONCLUSION
Notre démarche s’inscrit dans une perspective de prise en compte des RS en didactique des sciences physiques et chimiques. L’exploitation de ce concept dans les recherches en éducation permet au chercheur de procéder à des comparaisons aussi bien au plan synchronique, par la comparaison simultanée auprès de différents groupes d’apprenants, que diachronique, par l’évolution temporelle du système représentationnel examiné. Par ailleurs, étudier les RS s’avère être une démarche méthodologique heuristique, pour des raisons de scientificité et d’utilité. Effectivement, discuter la nature des éléments centraux et périphériques dans les savoirs préalables des élèves à des situations didactiques portant sur des objets d’enseignement permet de réfléchir sur les conditions de l’apprentissage et de la transformation des connaissances sociales en connaissances scolaires par le truchement des processus transpositifs. Quoi qu’il s’agisse de la phase interne ou externe de la transposition mise en œuvre, ces processus deviennent de plus en plus importants et exigibles chaque fois où est opéré l’enseignement d’un objet épistémique qui a subi des ruptures épistémologiques remarquables, à travers l’histoire de la pensée scientifique. En l’occurrence et d’après les démarches d’actualisation des Programmes de physique - chimie, peut-on envisager que très prochainement le modèle paradigmatique de « l’atome quantique moderne » y sera incorporer, ce qui est depuis quelque temps effectué dans les Programmes grecs de chimie des terminales. Par contre, les Programmes français mettent emphatiquement l’accent sur l’aspect du « nucléaire ». D’ailleurs, cet aspect fait l’objet d’un débat public au pays autour de la question globale du développement durable (énergie nucléaire, déchets nucléaires, etc., Grivopoulos, 2013;2014).
En effet, nous assistons à un processus d’écologie didactique (Chevallard, 2002), caractérisé par l’émergence de nouvelles connaissances - liées à des enjeux éducatifs, sociétaux, même politiques, telle la démocratie participative - et l’obsolescence d’autres, déjà dépassées, qui pourrait interpeler les représentations des élèves. Par conséquent, la réalisation d’une nouvelle étude du genre mesurerait, par exemple, pour des raisons d’évaluation, le degré du changement observé dans le système représentationnel en question. De surcroît, le travail transpositif doit prendre en compte l’existence éventuelle de représentations emboîtées (Vergès, 1992) à propos d’autres objets épistémiques, cognitivement associés à l’objet de recherche, tels « molécule », « élément chimique » et « cellule », quant à notre cas exemplaire.